histoire
Tu as beau te concentrer, répéter les mots comme le fait Aslan, mais rien ne vient. Il ne se passe rien et le parchemin reste désespérément vierge. Tu ne comprends pas pourquoi lui peut le faire et pas toi, pourquoi eux y arrivent sans effort alors qu’avec toute la bonne volonté du monde, tu n’obtiens aucun résultat.
– It’s never going to work… Te lamentes-tu avec cette moue presque un peu résignée.
– Not to worry dearest child.. It will come in time. Nature won’t be forced… Sa voix était rassurante, apaisante, et le baiser qu’elle avait déposé sur ton front avait la douceur du miel, mais tu ne croyais pas à ses mots. Tu avais déjà compris, inconsciemment, que tu ne serais jamais comme eux.
– Or maybe you’re just not gifted. Te lance ton aîné, railleur. Tu voudrais te jeter sur lui pour lui faire ravaler son orgueil, mais tu sais que c’est perdu d’avance ; tu n’as que huit ans, il en a quatorze et le rapport de force ne t’est pas du tout favorable. Tu serres le poing et répliques avec véhémence.
– Oh go to well with your precious magic. I don’t want it anyway. La porte s’ouvre sur la silhouette de ton paternel et son visage austère se pose sur toi, sans tendresse. Tu te tasses sur ta chaise, ne sachant que trop bien que la déception se peint une nouvelle fois sur ses traits. Tu attends les reproches, mais c’est le silence ; tu ne sais pas lequel des deux est le pire et tu détestes cette sensation d’être comme en suspend, en attente d’une sentence qui ne vient pas. Tu n’oses pas bouger, de peur d’accroître encore son courroux, les yeux rivés sur cette feuille de parchemin qui te nargue. La pluie a repris de plus belle, tu l’entends tambouriner furieusement contre les vitres de la pièce, tu t’échappes par la pensée, fuyant cette atmosphère lourde. Tu l’aimes cette pluie, elle lave tout sur son passage, à part peut-être ta fierté écornée, et tu aimes surtout l’odeur de l’herbe mouillée dans la plaine.
Adversaires encore une fois, mais amicalement cette fois et il n’est plus question de sortilèges ou de grimoires. Tu croises le fer avec cette ardeur que tu jettes toujours dans vos joutes, ces distractions qui te font oublier cette fichue magie. Pour une fois, tu as l’avantage. Même s’il t’a appris à manier l’épée, tu es plus observateur, plus calme, et tu le pousses à l’erreur avec délectation. Cette fois pourtant, tu rates, déconcentré. Tu l’as vue, et un sourire s’est dessiné sur tes lèvres. Ce n’était qu’un instant, elle a vite disparu, mais tu sais où elle est allée, tu sais la retrouver, dans le secret de l’écurie. Tu refuses pourtant de te rendre, tu ne veux pas le laisser gagner, même pour en finir plus vite. Tu rattrapes ton erreur, avec un peu de retard, mais tu finis par l’emporter malgré tout, un rictus victorieux s’installant au coin de tes lèvres.
Tu sais qu’il sait où tu te rends ensuite, mais tu sais aussi qu’il ne te trahira pas, c’est un pacte tacite.
– I’ve been waiting… lance-t-elle en guise d’accueil. Son regard est mutin, elle te jette au pied du mur, se rend inaccessible. Tu souris avec amusement.
– Isn’t this precisely what makes it all worth it ? Tu es insolent, taquin, tu sais manier les mots, même si tu n’as pas le panache d’Aslander, son aisance en société. Qu’importe. Très vite, vos soupirs s’emmêlent, dans la douceur d’avril, l’insouciance adolescente. Tu ne le sais pas encore, elle non plus d’ailleurs, mais c’est la dernière fois que tu la retrouves à la sauvette, le mariage l’attend.
Tu vas devoir t’absenter de nouveau, c’est une aubaine, une échappatoire que tu as accueillie avec un enthousiasme à peine voilé. Cette énième guerre avec l’Angleterre, dont tu es pourtant issu pour moitié, tu avais déclaré que ça serait une chance fantastique, l’occasion de t’illustrer, de te couvrir d’honneurs et de gloire. Serais-tu soudainement devenu comme ton paternel, avide de ces distinctions qui, tu dois bien le dire, sont la clé de tout confort. Mais peut-être que ce qui te pousse à vouloir sans cesse prendre le large, est ce dégoût de la vie conjugale, l’ennui profond qu’il t’inspire, qu’elle t’inspire. Peut-être parce que tu ne l’a pas choisie… Les traits du visage délicat de Greer sont encore au fond de tes yeux, comme des volutes de fumées, insaisissables. Tu l’as vue pour la dernière fois à ton mariage, elle était toujours aussi belle, comme dans ton souvenir, comme lorsque tu la retrouvais en cachette. Plus grave, plus altérée, emprisonnée elle aussi dans un couple qu’elle n’avait pas désiré, mais gracieuse néanmoins, avec cette malice qui brillait dans son regard et qui en disait long. Tu te dirigeais à ton tour vers cette vie dont tu n’avais jamais vraiment voulu, parce que c’était la norme, ce qui était attendu de tout héritier digne de ce nom, de toi, désormais, puisqu’Aslan… Tu préfères ne pas y penser.
– I’m counting on you son. Comme tu aurais aimé les entendre ces mots là, l’enfant que tu étais s’en serait tellement émerveillé, mais tu es un homme à présent, et tu sais qu’ils n’ont qu’une valeur d’avertissement, qu’ils ne sont qu’une façon détournée de te dire ne de pas faillir à nouveau.
Tu regardes Diane, elle te fait face à l’autre bout de la table, fière et tenant son rang avec élégance. Tu devines son ventre rebondi, sous le drapé de sa robe, et ça provoque en toi une drôle de sensation ; t’as l’impression d’être sur un terrain glissant, de chuter, petit à petit, inexorablement, sans pouvoir rien y faire, de t’embourber. Mais d’un autre côté, ça te fascine, cette petite vie qui se prépare, qui a déjà commencé même si tu ne peux pas la voir. C’est une très belle femme, tu dois bien lui accorder au moins ça, mais tu la trouves trop mièvre, trop douce, trop parfaite. Elle tolère toutes tes tromperies, tes goujateries sans jamais perdre sa patience et ça t’énerve encore plus. Pourtant, n’importe quel homme serait ravi d’avoir une épouse comme elle, fidèle et discrète, sans trop de caractère. La lettre est posée sur la table, négligemment ouverte ; ton affectation, la clé de ta liberté.
– Promise me you’ll be back. T’avait-elle glissé lorsque tu es parti. Tu l’avais embrassée sur le front et était grimpé en selle. Promesse tacite ou pirouette, tu ne sais pas trop, mais cette pensée ne reste pas longtemps, quelques foulées de galop hors du domaine et te voilà de nouveau toi-même.
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Elle est à tes côtés, mystérieuse compagne, cette femme à la peau froide et au regard si profond. Tu ne sais pas où tu es, tu sais seulement qu’il fait nuit et que ta gorge te brûle, elle te hurle ce besoin que tu ne comprends pas vraiment mais que tu ne peux pas réprimer.
– There, that’s the answer. Dit-elle en plantant ses canines dans le cou de la jeune femme aux prunelles éteintes. Tu ne sais pas comment elle fait ça, ni ce que c’est exactement, mais tu trouves ça… C’est au delà des mots. Tu ne sais même pas décrire ce sentiment auquel tu es en proie, mais d’un bond, tu la rejoins et imite son geste, et c’est comme si le paradis s’était entr’ouvert pour toi. Tu te regardes dans le miroir pendant que tu essuies de tes lèvres le sang encore frais. Incrédule. Tu observes ton reflet, et tu tentes de comprendre.
– I am… what ? C’est impossible, tu ne peux pas y croire. Tu te souviens des histoires que racontait ta mère, celles qui regorgeaient de créatures en tout genre, de légendes des temps anciens. Tu les avais toujours considérées comme telles, des histoires qu’on raconte aux enfants, sans jamais penser qu’elles puissent contenir la moindre once de vérité et pourtant…Tu avais toujours été sceptique lorsqu’elle te parlait d’un monde bien plus riche et flamboyant qu’il n’y paraissait, tu ricanes.
– You were always asking for proof. Now you have it. Now you can believe me when I tell you that there’s a whole new world waiting for you. And the best part, is that you can have it all. Tu ne peux plus ne pas y croire, et pourtant, tout ça te semble tellement irréel, tu te demandes si tu n’es pas en train de faire un rêve, aussi fou soit-il.
▸ Décembre 1694, St Pétersbourg.Tu entres en trombe dans sa chambre, pour la trouver accoudée à sa coiffeuse, l’air songeur.
– William, it is rude to enter a lady’s room without being invited. I think I taught you better. Mais tu n’es pas d’humeur à écouter ses minauderies et son faux outrage.
– How long have you known ? Elle te répond avec cette nonchalance qui d’ordinaire t’amuse.
– Known what ? Tu sais qu’elle sait parfaitement de quoi tu parles, ton regard s’est allumé, cette flamme de colère y danse dangereusement. Tu enserres sa gorge, ta poigne encore amplifiée par la colère qui déferle dans tes veines
– ответь мне ! Siffles-tu entre tes dents, bien décidé à obtenir des réponses.
– You’ve known all along haven’t you ! Tu as découvert les lettres, la filature tellement minutieuse. Tu sais, mais tu veux l’entendre avouer. Qu’elle t’a menti depuis le début, qu’elle l’a fait uniquement pour te garder à ses côtés, dans cette relation exclusive et à la fois paradoxalement libre qui t’avait plu, que tu trouvais excitante.
– Did it ever occur to you that I’d be interested to know that my brother is still alive… ? Or are you really that selfish ? Elle ne t’a jamais vu aussi furieux mais son sourire insolent ne quitte pas ses lèvres pour autant.
Tu as assisté avec elle à ce dîner, tu as fait semblant de trouver le repas exquis alors que tu aurais volontiers planté tes canines dans deux ou trois jugulaires, enfin, tu te rattraperas un peu plus tard. – I want you to release me. Annonces-tu en la regardant droit dans les yeux. Elle retire ses bijoux, sans rien dire. Elle ne peut rien faire et elle le sait, la partie est terminée.
– One day, you might regret it. Mais elle n’a jamais aimé perdre, tu le sais. Pourtant, elle ne te demandera pas de changer d’avis, elle est bien trop fière pour ça et elle sait que tu es têtu. Tu ricanes.
– Don’t think so.. Elle te nargue, elle rit de toi, mais tu as bien compris que c’est sa façon d’essayer de te garder près d’elle.
– Try me. Lances-tu, sec, défiant.
– Or what huh… ? What will you do if I refuse to release you ? Kill me ? Don’t be ridiculous, you know i could shred you to pieces and do my nails at the same time… Tu sais qu’elle a raison, mais il n’est pas question que tu cèdes.
– You may be older and stronger, but I’m angrier… siffles-tu.
▸ Mai 1775, Cour de FranceLe champagne coule à flots, les pâtisseries et autres douceurs sont servies continuellement et plusieurs tables sont installées et on y joue au tric-trac, au whist, et une table de billard a même été livrée. L’excès est le maître-mot de ces lieux, ces soirées d’appartement où l’on s’enivre jusqu’à la l’aurore, tu avais parié qu’Aslan ne pourrait pas se tenir éloigné de ce genre d’endroit, et tu dois bien reconnaître que la reine a un talent inégalé pour les festivités. Tu es attablé, en pleine partie de cartes lorsque, balayant l’assemblée du regard, tu finis par poser les yeux sur lui, ce frère que tu avais si longtemps cru mort. Tu restes de longues secondes à l’observer, tu te souviens de sa tombe que tu visitais régulièrement, l’errance dans laquelle tu étais tombé après la découverte de ce corps affreusement déchiqueté, méconnaissable et qui pourtant ne pouvait être que le sien. Pensais-tu. Vos routes s'étaient enfin croisées peu de temps après que Reyhan t’ait finalement laissé partir, au point de départ, à Inverness. Tu as fait sa connaissance, celle qui l’avait forgé à son image, Jaleh. Tu revois sa beauté farouche, ce regard d’émeraude empreint de la malice un peu mélancolique des femmes perses.
Elle est à son bras, ce soir encore, et ils forment ce duo aussi improbable que fascinant, et un sourire se dessine au coin de tes lèvres. C’est une sorte de jeu que vous avez instauré : chacun sa route, deux d’un côté, toi d’un autre, et puis des retrouvailles, sous de nouvelles identités chaque fois usurpées à ceux qui vous ont servi de repas.
▸ Septembre 2015, InvernessTu regardes le seuil de cette porte, incrédule, à des années lumière de penser qu’après tout ce temps, quelqu’un habiterait encore ce manoir. Sourcils froncés, face à cette barrière que tu ne peux pas franchir.
– Whoever you are, you are making a huge mistake. Tu ne sais pas qui est l’occupant de ces lieux, mais tu es fermement décidé à ne pas en rester là.