Ce fut le bruissement des feuilles dans les arbres, qu’il perçut en premier et alors qu’il revenait graduellement à sa pleine conscience, il entendit petit à petit se détacher le pépiement des oiseaux, et le travail de la terre sous sa joue. Bientôt, les sons ressemblèrent à des mouvements de basse contre ses tempes. Pire qu’une gueule de bois. Ren ouvrit les yeux et les referma aussitôt, les rétines agressées par les rayons d’un soleil pourtant timide. Il se recroquevilla sur lui-même, constatant dans ce mouvement désespéré qu’il n’y avait pas une seule partie de son corps qui ne lui faisait pas atrocement mal. Comme passé à la moulinette. Le goût de la terre, lourd et ferreux lui plombait le palais et il tourna la tête juste à temps pour vomir sa bile au sol. La bave sur son menton se mélangea rapidement à l’humus qui le maculait. Et le fit vomir une seconde fois. Ses ongles plantés dans le sol meuble, il lutta pour se redresser à l’aide de ses bras. Battements de cils sous la clarté jaune. Il avait perdu une chaussure.

Quand il parvint à rassembler assez de force pour se mettre debout, il crut que ses guiboles allaient céder comme du bois sec dans un craquement. Et quand il fut enfin de retour parmi la civilisation, son air hagard et son état misérable ne fit que confirmer qu’il avait passé une mauvaise nuit. Une boucherie. Il tressaillit. Eclats de crocs et chair qui cède. Il s’était cru malin. Il s’était cru discret. Il était venu se frotter à la bête sur son terrain. Sur le coup, juste avant que l’animal ne se rassemble sur lui-même et ne lui fonce dessus, il s’était retrouvé bouche bée devant sa beauté. Si violemment létale. Ses pattes gigantesques et son poitrail qui faisait trois fois son torse maigrelet. Il avait senti l’enfer s’ouvrir sous ses pieds. Et il s’était dit, putain, qu’est-ce qu’il avait été con.

Et maintenant, sur la faïence opaline, il regardait se déverser des bouts de lui et de la forêt. Sombre tourbillon sanguinolent. Il s’en était retrouvé sur le cul, glacé par la porcelaine froide. C’était le côté moyen dans une résidence universitaire, pas d’eau chaude, à moins de se lever aux aurores. La vérité faisait encore plus peur, une fois propre. Il voyait sur son flanc la marque des crocs. Ce qui lui manquait, que l’animal avait engloutit ou seulement arraché. Le loup. Un frisson dégringola de sa colonne vertébrale. Son corps était une constellation de pourpres, jaune et noir. Mais c’était cette plaie-là, aux contours presque trop réguliers, qui le terrifiait.

On allait se moquer de lui, dans la famille. Avant de le clouer au pilori sûrement. Il frissonna, tremblement en interne et mit à sangloter convulsivement. A force il en avait le visage tout rouge et morveux. Amateur. Stupide. Et surtout mort. Voilà ce qu’il était. Parce qu’il n’était pas plus tolérable pour lui, que pour les autres, qu’il devienne « cette chose ». Les bras en étoile, allongé sur le dallage de la salle de bain, il attendit même qu’elle frappe, comme ça. Mais les cellules devaient s’être déjà bien mélangées à celle de son corps et s’y sentir à l’aise. Parce que le lendemain. Il était toujours là. Le visage sec et les yeux brûlants.

« Bree ? Tu décroches jamais ton putain de téléphone ? C’était juste pour dire, que j’espère qu’il y a du Parmentier au menu ce soir. Parce que je squatte.»

Tu sais Renier… que sa mère lui chuchotait quand il était gamin, les yeux déjà lourds de sommeil. Ta sœur, c’est le portrait craché de ta grand-grand-mère.
Tu crois qu’elle pourrait faire revenir les licornes ?
Je crois qu’elle pourrait tout faire. Même lier la langue du diable.