Il faut s'en tenir aux faits.
I. elle vit seule, elle a de longues journées et la dernière chose dont elle a envie en rentrant du boulot c’est de s’installer devant les fourneaux. Alors souvent, ça finit devant un bol de nouilles instantanées sur son canapé. II. et puis puisqu’elle a la dent sucrée, il y a très souvent un paquet d’Oreo entamé qui traîne pas très loin. Faut dire, elle ne prend jamais la peine de le remettre dans l’armoire. III. pourtant, elle n’est pas particulièrement bordélique. Si son emplacement de travail est souvent couvert de dossiers ou de feuilles volantes, sa chambre est toujours propre, et ses vêtements toujours bien rangés. IV. et puis d’ailleurs il est rare de la voir porter des vêtements fripés. Que ce soit son uniforme ou ses vêtements civils, elle veille à ne pas sortir habillée n’importe comment. V. son boulot pourrait faire penser qu’elle n’est pas particulièrement féminine, puisque c’est parfois physique et qu’elle est dans un milieu majoritairement masculin : que nenni. Elle est souvent maquillée, et habillée classe lorsque les circonstances le permettent. VI. d’ailleurs c’est un truc qu’elle aime bien, ça, les vêtements. Mais son vrai péché mignon, c’est les chaussures. Elle en a une collection assez impressionnante. VII. elle collectionne aussi les bouquins : ce qu’elle ne dépense pas sur des chaussures, elle l’utilise pour remplir les nombreuses bibliothèques disséminées un peu partout dans son appartement. VIII. la lecture est un moyen pour elle de se changer les idées. Si Inverness n’est pas la ville ayant le taux de criminalité le plus affreux, ils en ont vu de belles au fil des années et se plonger le nez dans un bouquin l’aide à prendre de la distance et séparer boulot et vie privée. IX. d’ailleurs, au niveau interpersonnel, allier les deux ne s’est jamais révélé facile pour Wren. Elle préfère garder ses collègues à distance, mais n’a jamais su concilier de façon harmonieuse une relation de couple avec un horaire aussi chargé. X. être occupée lui plaît, et elle ne changerait de travail pour rien au monde. Elle contribue à la sécurité de la collectivité, aide ceux qui en ont besoin et ça, c’est ce qu’elle adore. À la fin de la journée, elle a l’impression d’avoir servi à quelque chose. D’être utile. D’avoir un but, un idéal à poursuivre... C’est aussi ce qui fait que les échecs l’atteignent plus que ce qu’elle voudrait bien avouer.

Une place pour chaque chose, et chaque chose à sa place.
« Mais tu te fous de ma gueule. » Si vous étiez en public, tu ne te permettrais jamais de lui parler de cette façon. C’est ton supérieur, il t’a donné une tâche à faire, un ordre. Tu te dois de lui obéir sans discuter. Mais c’est tellement absurde que tu n’as pas pu t’empêcher, de façon privée et discrète, de lui demander un entretien. Tu vaux mieux que ça, tu le sais et il le sait –après tout, c’est lui qui t’a tout montré. Et pourtant il vous colle, ton partenaire et toi, aux tâches les plus ingrates depuis son arrivée en poste. « Joachim ça fait des semaines que je fais que de du radar et de la circulation, c’est quoi ton putain de problème ! »

Tu ne devrais vraiment pas lui parler comme ça, mais c’est plus fort que toi. T’arrives pas à croire qu’il te fasse un tel coup de pute. Tu remplis toute la foutue paperasse inutile, accompagnée de ton partenaire qui, franchement, commence à t’en vouloir. Il se plaint, il sait que c’est pas normal : il s’agit peut-être d’un transfert d’une autre ville, mais c’est un homme professionnel, talentueux, qui a de l’ambition et qui risque très fortement de pouvoir grimper les échelons si on lui en laisse la chance –ce qu’il ne peut pas faire si Joachim continue de vous bloquer comme ça. Ton collègue est loin d’être imbécile : il a bien compris que quelque chose se passait entre vous deux, et il ne se gêne absolument pas pour te le faire remarquer.

Et puis la réponse tombe. Il ne veut pas qu’on pense qu’il fasse du favoritisme à ton endroit.

Et en plus, ton partenaire, c’est vraiment un péquenaud.

Ça te met tellement en colère que t'en restes muette pour un bon trente secondes, alors qu'il te regarde par-dessus le bureau. « Du favoritisme. » Tu répètes, presque hébétée. « Non ça va Joachim, j'crois qu'ils ont compris que c'était pas le cas. Si tu pouvais juste faire un peu moins de non-favoritisme, ça m'aiderait à ne pas me faire humilier par les autres. Et accessoirement, peut-être que mon équipe s'en porterait mieux. »

Tu sors de son bureau d'un pas calme, mais t'as les yeux qui lancent des éclairs, prête à aboyer sur la première personne qui viendra te dire ne serait-ce qu'un mot de travers.

Et le reste de la semaine se passe aussi mal que les précédentes. Visiblement, il se fout complètement de ton opinion. Son petit powertrip n'est pas fini, alors t'encaisses sans broncher, la tête haute. Jusqu'à ce qu'il fasse une connerie, et qu'il tombe brutalement de son piédestal. C'est drôle, parce que ça te fait étrangement plaisir, ce retournement de situation. Du moins, tu te dis que c'est bien fait pour sa gueule jusqu'à ce qu'on te le remette dans les pattes.