"Maman, pourquoi tu es triste?"

J'étais assise dans les escaliers donnant sur le couloir. D'ici je pouvais voir la cuisine, ma mère venait d'en sortir, les yeux rouges. Il était tard, mais je n'avais pas réussi à dormir, les voix hurlantes de mes parents m'en avaient empêché. Elle leva la tête vers moi, surprise de me voir réveillée à cette heure.

"Rien ma chérie, ce n'est rien, tu ne dors pas?"
"Non, je n'ai pas réussi, pourquoi tu'es fâchée? Papa a encore perdu un travail?"

Je vis son regard me supplier de ne rien ajouter. J'étais petite, cinq ou six ans. Mais ma mère était un livre dont je lisais les pages avec une facilitée qui la déconcertait. Elle ne disait jamais ce qu'elle pensait. Toujours, elle avait toujours quelque chose à cacher derrière un sourire. Moi je les décryptais. Chaque soir c'était la même chose, si ce n'était pas le travail, c'était la tasse oubliée sur la table basse du salon, ou la vaisselle qui s'entassait dans l'évier.
"Tu peux me lire une histoire?"
"Laquelle?"
"Le petit chaperon rouge."

Elle était ma préférée, arangée par ma mère. Dedans, il était question d'une petite fille et d'un louveteau, cela ne terminait pas mal, la petite fille allait chez sa grand-mère, lui portait un panier. Elle rencontrait le louveteau et ils devenaient amis. Le père du louveteau n'était pas content de cette amitié et tenta de prendre la place de la grand-mère, mais celle-ci le chassa. Le louveteau quitta la petite fille avant qu'elle n'aille chez la grand-mère. Et la petite fille ne revit pas le louveteau.
À l'époque je voyais juste ça comme une histoire, a force de l'entendre, j'avais compris que le louveteau et la petite fille c'était moi et mon amie Hannah. Ses parents et les miens étaient en désaccord, surtout nos pères. La famille d'Hannah déménagea en Ecosse lorsque nous avions dix ans.

Ma mère en eut assez de mon père et demanda le divorce. Moi je m'en fichais tant que ça rendait maman heureuse.
Il y eut le lycée, les garçons, les premières fois, les disputes et les réconciliations, les échecs démotivants. Londres devenait trop étouffante, je ne supportais plus la ville, trop de souvenirs, trop de déceptions.

Coup de folie, je suis partie une fois le lycée terminé. Ma mère pensait que c'était juste une envie passagère et que je ne passerais pas à l'acte. J'ai pris mes économies, mon sac et je suis arrivée à Inverness et j'y ai retrouvé Hannah. Elle me parle tout le temps de destin, elle est assez étrange, me parle tout le temps de surnaturel. Je n'y croyais pas jusqu'à une nuit il y a à peu près six mois.

Elle ne répondait pas. J'étais inquiète, j'ai dû l'appellée 15 fois en une demi-heure avant de recevoir un message.

"Hannah, j'ai froid viens !" "Hannah j'ai la dalle, tu me prépares des pattes? J'arrive je sais pas quand, je sais par ou je suis." "Hannah...je commence un peu à flipper, on n'aurait pas dû regarder ce film hier. Je ais me faire découper en morceaux par un psychopathe, je ais me faire bouffer par des zombies !"

Alice se fait souvent des films quand elle a peur, surtout si elle est toute seule la nuit. Cela lui arrive souvent d'aller trainer tard le soir, elle aime bien la nuit. Alors je n'ai pas fait attention, il était trois heures du matin et j'ai préparé des pattes. Elle est rentrée une semaine plus tard.

"Il t'est arrivé quoi?" "J'sais pas." "Sérieusement ! Il t'est arrivé quoi?" "Mais je n'en sais rien, je e souviens juste...j'ai courru, beaucoup, il y avait cette, j'en sais rien quelque chose derrière moi et puis je me suis cognée la tête , je n'ai aucune idée de ce qu'il s'est passé d'accord? Je vais bien, j'ai juste reçu un coup à la tête. J'ai dû encore me faire peur et me prendre un truc sur la tête, quelqu'un m'a vu et m'a soigné. Je ne sais ABSOLUMENT rien d'accord?"

Ma mémoire était comme un puzzle dont il manquait des morceaux. Mon corps était recouvert de bleus et de blessures... Hannah soupçonnée quelqu'un de m'avoir droguée ou tabassée, je ne me souvenais de rien. Sinon d'une douleur intense. J'étais bien décidée à comprendre ce qu'il s'était passée ce soir-là. De toute façon je me sentais normale, outre mes blessures. pas besoin de s'inquiéter. Les jours s'écoulaient calmement. Je sentais quelque chose en mois monter jours après jours. Les journées n'avaient pourtant pas diminué, j'avais des envies soudaines, une énergie que je devais dépenser. Je passais mon temps à courir à droite et à gauche.


Et puis il y eut la pleine lune, j'étais en plein footing nocturne. Après de longues heures de négociations, j'étais parvenue à sortir. Hannah avait toujours peur qu'il m'arrive quelque chose. Je me suis transformée ce soir-là, pour la première fois, je venais de comprendre, les souvenirs revenaient. On m'avait poursuivie ce soir-là, en tentant de fuir je m'étais retrouvée dans une situation un peu compliquée. J'aurai dû mourir mais on m'avait sauvée. Ce qui s'était passé ensuite je ne m'en souvenais pas, ce que j'avais fait durant cette semaine.

Aujourd'hui ça fait six mois que je cache ma nouvelle nature à Hannah, ce n'est pas tous les jours facile. Je m'adapte à ma façon, j'essaie de le nier, de le fuir. Mais chaque fois que la lune est pleine, la vérité me frappe de plein fouet.